Entretien avec le photographe et graphiste Lhacene
En hommage à ses racines algériennes, le photographe et graphiste Lhacene décide de reprendre l’orthographe originelle de son nom de famille comme nom d’artiste. Amoureux d’expérimentation, l’artiste entretient un lien tout particulier à l’image qui devient très vite un terrain de jeu où le regard et les différentes perceptions occupent la place centrale.
Quel est ton parcours ? Comment as-tu débuté la photographie ?
Il faut savoir que je n’ai pas du tout fait d’école d’art ! J’ai démarré mes études par une licence en communication et en médiation culturelle à Montpellier, puis je suis venu à Paris où j’ai fait un Master de sociologie en numérique et média.
J’ai vraiment commencé la photo en rigolant avec mes amis, mais aussi parce que j’avais développé une certaine frustration de ne pas réussir à exprimer mon ressenti à travers le dessin, la peinture ou toutes autres pratiques manuelles. J’ai tout de suite trouvé la photo bien plus accessible, que ce soit avec un téléphone portable ou avec les appareils photos que mes proches me prêtaient. Au départ, c’était juste des photos de soirée, mais très vite j’ai réalisé que c’était une bonne manière de commencer un travail créatif ; alors je me suis acheté mon propre matériel pour expérimenter sans dépendre des autres.
Penses-tu que ta pratique autodidacte te donne des libertés supplémentaires dans ton travail photographique ?
Au début, ça a été un frein parce que je ne me sentais pas assez légitime, mais avec du recul je me suis rendu compte que je me nourrissais d’autres choses, aussi bien en sociologie qu’en histoire ou en art. Au final, j’ai pu piocher dans tout ce que j’aimais, mélanger toutes sortes d’inspirations en même temps que de développer un œil critique. Je vois la photo comme un jeu d’expérimentation dans lequel je n’ai pas eu à déconstruire d’enseignement. Ça me permet de laisser libre cours à mon imagination.
Tu es aussi graphiste, dans quelle mesure penses-tu que ça influence tes compositions photographiques ?
Comme pour la photographie, j’ai appris le métier de graphiste en autodidacte. C’est un art très appliqué qui me permet d’exercer une recherche approfondie des formes, des harmonies de couleurs et de compositions. J’aime aussi particulièrement tout ce qui est relié au print, la recherche de papier et de finis, mat ou brillant par exemple. Justement, on remarque ces sources d’influence à travers beaucoup de géométrie et une attention particulière portée aux effets de texture.
Le graphisme me permet aussi de mettre en avant et en forme mon travail photographique, pour ma première expo au Mignon Café j’ai pu réaliser des totes bags, des cartes de visite et des posters.
Tu as réalisé ta première exposition l’année dernière au Mignon Café. Tu peux m’en dire plus ?
Quand j’ai eu mon diplôme il y a trois ans, je me suis offert deux années pour me détacher de mes études de sciences sociales mais aussi et surtout pour approfondir mes envies créatives. Mes deux objectifs principaux étaient d’apprendre le métier de graphiste et de me consacrer davantage à la photo. À cette période, j’ai rencontré le gérant du Mignon Café, un ancien danseur pro avec qui j’ai eu un super échange et qui m’a proposé d’exposer mon travail ! Cette expérience a vraiment été intéressante, j’ai pu montrer mon travail à un public plus large et y faire une première sélection en essayant de trouver une cohérence entre chaque visuel. Ça a donné ma première série dikʀ ɔik, qui comporte dix images accompagnées de titres courts, à travers lesquels je montre le développement d’une émotion : de son apparition jusqu’à sa disparition.
J’ai aussi adoré créer toute l’identité visuelle de cette exposition et ainsi montrer mon travail de graphiste. Ça m’a permis, grâce à une communication visuelle vraiment personnalisée, d’aller jusqu’au bout de ma vision artistique.
Tes œuvres se manifestent entre art figuratif et art abstrait. Tu soumets au public des visions qui s’interprètent en fonction des regards qu’elles croisent. Qu’est-ce qui t’attire dans ces thématiques du regard et de la perception ?
Avant tout, j’ai commencé à faire des photos pour m’amuser. Je voyais cet outil comme un microscope avec lequel je pouvais déformer ou exagérer des choses du réel. J’ai tout de suite eu cette volonté de sortir de la réalité, ou du moins de me l’approprier et de la réinterpréter. Le leitmotiv de mon travail c’est d’imaginer et d’expérimenter ; mes recherches se font dans la forme plus que dans le fond, il ne faut pas forcément essayer d’y trouver un sens.
J’ai aussi réalisé que j’étais quelqu’un qui aimait avant tout la peinture. En m’intéressant aux différents mouvements d’histoire de l’art tels que le courant abstrait, surréaliste ou figuratif, je me suis rendu compte que je pouvais m’en inspirer et les appliquer à la photographie. Je dirai aujourd’hui que mes photos sont plus “picturales” qu’humanistes ou de reportages.
Mais ce que je cherche avant tout avec ces images, c’est d’offrir une porte d’entrée aux personnes qui les découvrent puis les laisser se les approprier. Pour moi, l’art est un moment de lâcher prise et d’émotion où chacun peut développer sa vision et surtout son ressenti.
Tu traites aussi certaines de tes photos de manière impressionniste. On remarque un vrai lien qui se crée entre photographie et peinture. Pourquoi ce choix ?
C’est drôle, parce qu’au départ je n’aime pas le mouvement impressionniste. Mais récemment je me suis amusé à jouer avec les réglages de mon appareil photo et me suis aperçu qu’en appliquant les principes de l’impressionnisme à la photo, j’arrivais à un résultat singulier et hyper cool. Rendre la photo floue m’a permis de voir autre chose et même de créer de toutes nouvelles images.
Qu’elles sont les influences qui t’inspirent ?
En peinture, j’aime beaucoup le mouvement abstrait avec Mondrian et Kandinsky, il y a un côté très graphique et une composition de forme qui m’intéresse. Le courant surréaliste me plaît aussi énormément à travers son aspect introspectif. Plus en dessin qu’en peinture, j’adore le travail de M.C. Escher qui joue sur la déformation des perspectives ; ça amène quelque chose d’intrigant et d’angoissant à la fois.
En photo, il y a deux photographes que j’aime particulièrement : Man Ray et Patrick Bailly-Maître-Grand. Ce dernier photographie sans utiliser d’appareil photo et les rendus sont incroyables, ça donne des images uniques avec un aspect un peu magique et scientifique. Et Man ray, c’est un classique, j’aime le côté très mode qui ressort de ses photos.
Quels sont tes projets en ce moment ? Quels sujets photographiques aimerais-tu traiter ?
En ce moment je suis très concentré sur le graphisme, je travaille beaucoup l’identité visuelle de projets très éloignés de mon univers, ça me permet d’élargir mes compétences. En photo, j’aimerais créer de plus en plus de séries, avoir une cohérence entre mes images pour raconter une histoire ; comme ce que j’ai pu faire avec dikʀ ɔik.
Je voudrais reprendre le thème de l’émotion, toujours dans une expression scientifique presque psychologique. En tant que personne hyper sensible, l’émotion est une thématique centrale dans mon travail créatif.
Retrouvez les photographies de Lhacene sur son site Internet ainsi que sur sa page Instagram.
Propos recueillis par Hélène de Montalembert
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